Les nouveaux barbouzes-Enquête sur la privatisation de l’espionnageEmmanuel Fansten; Robert Laffont 2012

Ni vraiment bon, ni franchement mauvais. Rapidement lu, ce livre est intéressant pour les différents aspects qu’il aborde en revanche il est très décevant lorsque s’attarde sur les détails et sur les prises de position (ou du moins les inexactitudes) de l’auteur.

Dans l’ensemble le livre aborde les différentes affaires d’espionnage économique (que l’auteur n’hésite pas à assimiler à des pratiques d’intelligence économique). Ainsi on trouve des chapitres liés à l’affaire Renault, un autre à l’affaire Canal+, mais aussi EDF-Greenpeace. Il faut laisser à l’auteur, l’analyse fine des différentes affaires complétées grâce à des informations obtenues auprès des différents acteurs des affaires lors d’interviews.

 Ainsi on croise au travers des pages des noms bien connus dans le milieu du renseignement (Pierre Martinet, Bernard Squarcini), des SMP (Pierre Marziali-Secopex), mais aussi de l’intelligence économique (Bruno Delamotte, Hervé Seveno) et les inclassables (Ziad Takieddine, Alexandre Djouri).

Cependant, certains passages sont plutôt dérangeants, dans le sens où l’on ne sait pas si l’auteur sait vraiment de quoi il parle et surtout s’il se rend compte que dans les milieux de l’intelligence économique et du renseignement (à ne pas confondre !) il existe des limites au-delà desquels on passe d’une catégorie à une autre de l’intelligence économique au renseignement et du renseignement à la barbouzerie. Ces distinctions ne sont pas clairement établies et ce manque de détails gâche le livre pour plusieurs raisons.

La première raison est que l’intelligence économique souffre d’un manque de reconnaissance de la part du grand public, car très souvent cette discipline est assimilée à tort à du renseignement économique. Pour l’intelligence économique, le cadre légal est de travailler sur des sources ouvertes accessibles et éventuellement recueillir de l’information à travers des interviews ou des conversations, à la différence de l’espionnage qui s’affranchit de ces codes et s’autorise à outrepasser la loi (écoute, filature, chantage, vol). Sur ces points l’auteur n’est guère bavard et n’indique en rien ces nuances, certes subtiles, mais importantes pour éviter de mettre « tout le monde dans le même sac ».

La deuxième raison sont les prises de position plus ou moins subtiles de l’auteur. Il ne s’agit là que d’un ressentit, mais à la fin du livre j’ai eu la sensation que l’auteur n’aimait pas vraiment le monde du renseignement et encore moins les affaires qu’il cite dans l’ouvrage. Du coup, j’ai eu un ressentit de parti pris et on peut douter de l’objectivité des faits rapportés. Une plus grande part de neutralité aurait certainement rendu l’ouvrage plus objectif et sans doute sur les motivations de l’auteur à écrire cet ouvrage.

Pour étayer mes propos voici quelques extraits qui m’ont surpris, encore une fois je suis dans le détail. Cependant, c’est dans le détail et la précision que l’on peut apprécier un ouvrage.

Extrait 1 p13: « Selon lui (Henri Seveno), il y aurait donc les bons espions travaillant légalement à partir de sources ouvertes. Et les autres, adeptes d’opérations clandestines et agissant en marge de la loi ».

En lisant cet extrait à la troisième page de l’avant-propos, le ton est donné. Soit l’auteur n’a rien compris entre le renseignement et l’IE, soit il a mal compris les propos de Henri Seveno. Dans tous les cas, prétendre que des agents de renseignements (et non des espions) travaillent sur des sources ouvertes est certes vrai, en revanche on peut très vite voir l’amalgame qui peut se produire pour le lecteur qui assimilerait à tort les consultant en IE qui travaillent uniquement sur des sources ouvertes, et des agents de renseignements qui peuvent (en plus des autres moyens techniques) travailler également sur des sources ouvertes. J’insiste, sur le fait que cet ouvrage devrait entrer davantage sur des détails pour expliquer clairement au lecteur les différences entre les différents statuts (renseignement/IE/legal/illegal).

Les amalgames se poursuivent p16: « En France, l’intelligence économique reste largement associée à une forme moderne d’espionnage« . Avec une telle affirmation, je pense que nombre d’acteurs du monde de l’IE seront d’accord de dire que l’auteur doit revoir son sujet.

On note aussi des inexactitudes par exemple p.23: Et surtout Marc Gevrey , un ex-officier de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), les services de renseignements militaires. Ici également, on note le manque de vérification, car le service de renseignement militaire est la DRM et non la DPSD qui est chargée de la protection des installations et des entreprises sensibles (travaillant avec des habilitations défense).

 Conclusion: Au final c’est un livre bien réussit sauf pour quelques passages contestables, on notera surtout que l’auteur s’est donné de la peine pour interviewer les protagonistes et rendre ainsi plus crédible les différentes pistes et affaires d’espionnage économiques. Plus complet que le livre de Pellegrini « Histoires d’espions-Le renseignement à l’heure de l’espionnage économique » pour quasiment le même prix et avec plus de contenu et de détails. Auteur à suivre.

*Ma note personnelle pour ce livre est de 2,5/5

*Tous les livres présentés sur ce site ont été lus et sont en rapport de près ou de loin avec l’intelligence économique.

Jonathan SCHELCHER

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